Roland Sossou, un non-voyant journaliste et musicien hors pair

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Roland Sossou, non-voyant, après sa soutenance de mémoire, décembre 2022. Elisée Rassan / Le clik
Roland Sossou, non-voyant, après sa soutenance de mémoire, décembre 2022. Elisée Rassan / Le clik

Non-voyant, il est une étoile rare dont les œuvres forcent admiration. Titulaire d’un master en journalisme à 25 ans, il est également musicien, un guitariste dont les doigtés réjouissent le cœur. En quête de l’excellence au quotidien, Elom Roland Sossou brise les limites, même en sport, et s’érige en symbole d’espoir pour les paires. Malgré sa détermination, son avenir suscite d’importantes interrogations.

Totalement dans le noir depuis l’âge de 16 ans, le jeune togolais est né en 1997 avec la maladie de l’œil appelée glaucome. Une maladie qui l’a progressivement privé de la vision à cause surtout de la mauvaise opération qu’il a subi. Grâce au braille, son ordinateur, son smartphone et quelques outils numériques, il grandit et s’impose, dans des conditions de vie extrêmement difficiles, avec le soutien de ses parents.

Le prix de l’excellence

Elom Roland Sossou démarre ses études scolaires dans le complexe scolaire, créé par son père, école privée laïque Les champions sise à Tsévié, sa ville natale. A cause de la déficience visuelle, il reprend plusieurs fois les classes de CEP. « Parce qu’on me disait qu’il m’était impossible de prendre des notes des cours à l’étape suivante », affirme-t-il. Face à cette situation, ses parents l’inscrivent à l’Institut des aveugles de Togoville (IAT) en 2005 où il reprend le cursus primaire en quatre années. Il sort premier du centre et de l’inspection de Vo au CEPD.

« A partir du collège, le système mis en place nous oblige à intégrer les écoles normales (école de voyants). Nous venons au cours comme tout le monde, mais avec la spécificité d’être une personne vivant avec une handicape et avec nos moyens de prise de note », raconte Roland. C’est ainsi qu’il intègre le collège Saint Augustin, Notre Dame du Lac (CSA-NDL) de Togoville. Quatre années plus tard, il décroche son BEPC avec mention très bien. Il obtient son probatoire (2015) également avec une mention très bien et son baccalauréat – série A (2016) avec une mention bien.

Passionné par la communication, Elom décide de poursuivre ses études à l’Université de Lomé, au sein de l’Institut des sciences, de l’information, de la communication et des arts (Isica). En six années d’étude, il sort avec une licence professionnelle en journalisme (option radio), une licence fondamentale en communication obtenue à l’issue d’un parcours délocalisé à l’Université Bordeaux Montaigne et un master professionnel en Journalisme et technologie numérique.

Roland Sossou entouré des membres du jury à l'occasion de sa soutenance
Roland Sossou entouré des membres du jury à l’occasion de sa soutenance

A l’occasion de sa soutenance, en décembre 2022, à l’issue duquel il obtient une note de 17/20, le jury à l’unanimité apprécie la qualité de son mémoire qui a porté sur le « fact checking » et sa production professionnelle, un magazine radio. « Roland est un étudiant assidu et brillant », note le président du jury, Bilina Ballong. Le journaliste reporter d’images Noël Tadegnon renchérit :

Il a été un bon étudiant. Je l’ai eu en licence et en master et surtout en stage à Togocheck.

« Souvent oublié »

Le parcours d’Elom Roland Sossou, aussi excellent soit-il, est parsemé de difficultés : difficile accès aux documents, l’inadaptabilité des cours proposés et l’absence des dispositifs adaptés.

« Les problèmes surgissent quand l’enseignant décide de ne plus parler ou bien de ne pas épeler les mots quand il s’agit d’une nouvelle langue et qu’il commence par écrire au tableau », explique-t-il. Aussi, il n’arrive pas à faire les schémas sans accompagnement et faute de matériel adapté. « Nous avons fait tout le cursus sans avoir un bon système pour nous permettre d’intégrer les connaissances, surtout en géométrie, pour lesquelles arrivé à un stade de notre formation on nous a dispensé », déplore-t-il.

Tout au long de son parcours, Roland a difficilement accès aux documents au programme, en sciences comme en littérature, en raison du fait qu’ils ne sont pas traduits en braille. Pour Obtenir les informations contenues dans les documents, il faudrait chercher leur version numérique. Quand l’ouvrage est imprimé, il se réfère à son ouï. C’est ainsi qu’on retrouve Roland après chaque cours, solliciter des camarades pour lui lire les documents.

Détenteur d’une carte de presse depuis fin 2022, Roland produit du contenu journalistique. Seul, il enregistre et monte des sons grâce aux logiciels dédiés. Il traite des dépêches et produit des articles de presse. Il choisit le métier de la presse pour faire connaitre la réalité des personnes en situation de handicap et prouver qu’ils sont capables de faire bien de choses si les moyens leur sont accordés. Malgré tout, trouver un emploi stable est un calvaire.

Je me rappelle avoir galéré à la fin de mon parcours licence pour trouver un stage. J’ai sillonné plusieurs médias qui m’ont tourné en rond. C’est seule la chaine publique, Radio Lomé qui m’a accordé un stage de trois mois pendant lequel j’ai été ignoré pour une bonne partie. Tout ça parce qu’il n’y a pas une vraie politique d’accueil et de recrutement des personnes en situation de handicap même si le Togo a ratifié plusieurs de ces textes qui imposent des quotas. Nous sommes souvent oubliés.

Recalé récemment à un concours présidentiel, il pense que son handicap est à l’origine de cette exclusion, parce que « le mode de composition ne permet pas aux personnes en situation de handicap visuel de composer », estime-t-il.

Christiano du cécifoot

Célibataire, Elom adore la musique. Il apprend seul la guitare solo et est sollicité par différents orchestres pour des prestations. Il joue également du piano et la guitare basse. Il organise, avec ses camarades de l’Association chrétienne pour l’intégration et l’épanouissement des personnes en situation de handicap visuel (ACIEPHV), un concert au palais des congrès en 2016. Il a fait d’autres scènes, notamment celle du Poly berceau à Notsè lors des fêtes traditionnelles avec King Messan, surnommé le roi de la musique togolaise. Il compte a à son actif plusieurs compositions dont 3 morceaux gospel et 3 urbains. Ces chansons ne sont pas officiellement diffusées à cause du manque de moyens financier.

Elom Roland Sossou a aussi des ambitions sportives. Il s’entraine, depuis quelques mois, avec ses paires, chaque dimanche sur le campus universitaire dans le but de participer à des compétitions paralympiques. D’où la naissance de l’Association sportive Kékéli (lumière en mina).  Vrai fan de football depuis son enfance, il pratique le cécifoot, un sport spécialisé pour personne en situation de handicap visuel. Il est surnommé Christiano (l’international portugais) par ses coéquipiers.

Comme l’accès au monde professionnel est difficile, le jeune journaliste et musicien envisage faire une thèse en sciences de l’information et de la communication (Sic) et participer aux jeux paralympiques en tant qu’athlète et joueur de cécifoot. Il a plus que jamais besoin de soutien de tout genre pour maintenir le rythme et surtout réussir sa carrière professionnelle.

Elisée Rassan

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