Ferdinand Ayité en prison, justice ou règlement de compte ?

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Ferdinand Ayite, journaliste togolais
Ferdinand Ayite, journaliste togolais

Ferdinand Ayité, le directeur de publication du journal d’investigation L’Alternative et son confrère de Fraternité, Joël Egah, croupissent en prison depuis quelques jours pour s’être exprimés dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux. Le Code de la presse en vigueur au Togo est pourtant dépénalisé. C’est l’argument que certaines organisations et associations de la société civile brandissent pour réclamer la libération des professionnels de l’information. D’autres dénoncent un règlement de compte. Les autorités judiciaires ont-elles violé la loi en appliquant le code pénal aux professionnels de l’information ? Comment comprendre qu’un article diffamatoire écrit dans la presse fait courir à un journaliste un risque de 3 millions F CFA alors que les mêmes propos tenus sur un réseau social peuvent valoir une peine de prison ferme au même journaliste ? 

Ce n’est pas la première fois que Ferdinand Ayité fait face à la justice togolaise. A la différence des autres interpellations, cette fois-ci, le journaliste d’investigation se retrouve derrière les barreaux pour avoir critiqué le ministre Pius Kokouvi Agbetomey de la Justice et de la Législation, et son collègue Kodjo Adedze du Commerce, de l’Industrie et de la Consommation locale dans l’émission audiovisuelle ‘’l’Autre journal’’ produite par L’Alternative et diffusée sur YouTube.

« Pensez-vous que moi Ferdinand, je vais croire à un ministre qui est au gouvernement et qui dit qu’il est pasteur ? Un ministre qui vole et qui détourne l’argent du pays ? Et ce sont ces gens qui vont organiser des journées de reconnaissances à Dieu. Le ministre de la Justice et son collègue du Commerce ont une église (…). On torture et bastonne les gens, on punit ceux qui réclament leur droit et ils ne disent rien. Le dimanche venu, ils iront à l’église pour dire : ‘’heureux les pauvres, le bonheur vous attend ».

Cet extrait des propos tenus par Ferdinand sur fond d’humour et de raillerie à la limite va vite le rattraper. Il a d’abord été convoqué le jeudi 09 décembre par la Brigade de recherche et d’investigation (BRI), de même que les deux autres journalistes présents sur le plateau, Joël Egah et Isidore Kouwonou, le présentateur. Après 48 heures de garde à vue, ils ont été auditionnés puis les deux directeurs de publications ont été placés sous mandat de dépôt. C’est bien le droit commun, en l’occurrence le code pénal qui est appliqué à ces derniers. Pour certains, cette sentence est un acharnement des autorités contre les journalistes, une atteinte à la liberté de la presse. Une analyse à la lumière de la loi permettra de mieux comprendre le sujet.

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Selon l’ancien directeur de cabinet du ministre de la Justice, Talaka Mawama récemment nommé procureur de la République, « l’analyse des faits dénoncés a révélé des incriminations d’outrage envers les représentants de l’autorité publique et la diffusion de fausses nouvelles de nature à troubler la paix publique, au sens des alinéas 1 des articles 490, 491, 492 du nouveau code pénal et de son article 497 ». L’utilisation du code pénal a-t-elle lieu d’être alors que la loi n°2020-001 du 07 janvier 2020 relative au Code de la presse et de la communication en République togolaise dépénalise le délit de presse ?

Le procureur de la République justifie l’utilisation du Code pénal par le fait que « les faits incriminés ont été commis par le canal d’un réseau social ». Or, le Code de la presse (Art.3) exclut de son champ d’application, « les réseaux sociaux (…), lesquels sont soumis aux dispositions du droit commun ».

Tout journaliste, technicien ou auxiliaire des médias, détenteur de la carte de presse, qui a eu recours aux réseaux sociaux comme moyens de communication pour commettre toute infraction prévue dans le présent Code, est puni conformément aux dispositions du droit commun. (Art.156 du Code de la presse).

Sur la base de ces deux articles, l’utilisation du code pénal n’est pas illégale.

Une détention mal accueillie

Ferdinand est reconnu pour ses prises de position radicales contre les tenants du pouvoir. Le journaliste dont le numéro apparait sur la liste des cibles potentielles du logiciel israélien Pegasus constitue une menace pour certaines autorités. Est-on en présence d’un règlement de comptes de la part d’un pouvoir allergique aux prises de positions des journalistes ?

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La détention des journalistes est très mal accueillie au sein de la corporation et la plupart des organisations de la société civile et Amnesty International qui exigent leur libération immédiate et inconditionnelle. C’est une situation qui reste quand même injuste au regard de la réalité politique togolaise, où existe une impunité rampante. Des crimes économiques et autres sont dénoncés par la presse sans qu’aucune investigations ne soit menée. On ne compte plus les rapports des droits humains dans lesquels les auteurs des crimes sont cités sans déclenchement d’aucune action judiciaire.

Au regard de ce tableau, il est difficile d’accepter que des journalistes soient détenus et poursuivis par la justice pour des faits de diffamation faisant écho à ce que charrie la rumeur publique. Il revient aux autorités de ce pays d’accompagner la jeune presse togolaise et l’amener à la perfection, au lieu de les envoyer en prison chaque fois qu’une virgule ou un point-virgule seraient mal placés.

Elisée Rassan

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